Interview Rohff & Soprano :
Regard l'un sur l'autre
Soprano : Je commence! Priorité au plus jeune, meme si chez nous, aux Comores, c'est considéré comme un outrage. Par exemple, tu ne touches pas le plat tant que l'ainé ne s'est pas servi (rires). La première fois que j'ai vu Rohff, c'était en 1999. A l'époque, il y'avait également le 3ème oeil pour représenter les Comores. Mais Rohff allait encore plus loin. Il enregistrait des titres au bled. Mas soeur me faisait écouter des morceaux qu'il a fait avec une grande chanteuse comorienne. Pour moi, Rohff est le Tupac français. Il n'en a rien à foutre que le rap avance ou pas. Il fait son truc. Il est en studio, il enregistre 24h/24. J'apprécie aussi son discours, notamment sur des titres comme "Regretté" ou "Message à la racaille". Contrairement à beaucoup, il ne glorifie pas la violence ou la prison.
Rohff : C'est un honneur de recevoir de tels compliments de la part de monsieur Soprano. C'est un grand garçon maintenant. Je l'avais vu pour la première fois à Marseille dans u pub. Il était parti en freestyle, je lui avais succedé eu micro. J'ai tout de suite compris qu'il avait du talent. Depuis, il a fait son chemin. A chaque fois que je l'entends il me fait plaisir. Si on n'est pas vraiment dans le meme registre, il a toujours le souci de la performance. Je ne suis pas étonné de son évolution, de voir où il en est aujourd'hui. Il a un don. C'est comme ca. J'espère sincèrement qu'il ira encore plus haut.
La Photo
Soprano : Les gens ne se rendent pas compte, mais nous ne sommes pas beaucoup représentés en France. La photo là, aux Comores ca va etre un truc de malade. C'est photo va leur donner de la force, du courage. C'est vraiment la misère chez nous. Pour beaucoup nous sommes des modèles de réussite.
Rohff : Aux Comores, les gens mettront la photo en fond d'écran de leur ordinateur, ils en feront des affiches, des posters. Les comoriens, nous sommes très fiers. On a lutté pour obtenir notre indépendance. On n'a pas besoin de grand chose pour etre heureux, on vit avec la foi, l'amour de notre pays, l'amour des autres, de notre famille. Cette photo est vraiment symbolique. Comme le dit Sopra c'est un vrai symbole de réussite. Qulque part nous sommes des ambassadeurs. Il y a une vraie méconnaissance des Comores en France.
Les Comores
Rohff : C'est vraiment la misère là bas. Il y a des coupures d'éléctricité très souvent. D'ailleurs, les comoriens ont développé un sens aigu de la vision nocturne. Il m'est déjà arrivé de me faire repérer par des mecs alors qu'il faisait totalement nuit. (rires)
Soprano : Pareil quand tu joues au foot là-bas. Les terrains sont parcourus de grosses pierres mais eux savent parfaitement où elles se situent. Ils connaissent tous les recoins du terrain. Ils dribblent les joueurs et les pierres.
Rohff : Pour autant, les Comoriens se suffisent à eux-memes. Ils n'ont besoin de personne. Ils marchent entre eux . Si tu ve passes avant tout le monde. Il foit que tu sois heureux. Nous sommes très accueillants. Retourner au bled est une vraie cure pour moi. J'arrive les poches pleines, eux n'ont rien mais ils s'occupent de moi comme si j'étais handicapé. Ils me relèvent. Quand je repars, je suis doré, en forme. On dit le Comorien à l'image de son drapeau : il joue les stars. Il pourrait etre en train de crever tout seul chez lui, il n'appellerait pas à l'aide pour autant. Et malgré la misère, les gens ont le sourire, les visages sont détendus.
Soprano : Je me souviens de mon grand père qui cachait de la vanille sous son siège. Il disait : "celui qui voudra me la prendre devra me tuer". Ca me paraissait un peu ridicule mais lui me disait : "je me suis battu pour cette vanille, pour que mes enfants et petits enfants puissent en profiter". Ses yeux brillaient. Presqu'aux larmes.
Etre comorien entre France
Rohff : C'est vrai qu'en banlieue, la plupart des gens sont, soit arabes, soit d'Afrique noire. Le fait d'etre comorien je me situe un peu entre les deux, historiquement parlant, dans la mesure où les Comores étaient colonisés il y a des siècles par les Arabes. Je porte également un prénom arabe (Housni). Aussi, 70% des mots comoriens sont issus de la langue arabe. Du coup, je n'ai jamais eu de problème d'intégration dans le quartier. Et puis comme dit mon pote Kery, il n'y a pas de couleur. Chacun a quelque chose à offrir à l'autre.
Soprano : c'est différent pour moi, à Marseille, j'ai l'impression d'etre aux Comores. Mon voisin de gauche est comorien, celui de droite aussi, pareil pour ceux du dessous et du dessus. L'atmosphère n'est pas la meme. Etre comorien à Marseille c'est naturel!
Rohff : Je ne regrette rien, mais j'aurais bien aimé vivre ca aussi. Dès fois, j'ai envie de manger comorien, au lieu de quoi je me tue dans des restaurants avec des sandwichs grecs ou salades. Aucune nourriture n'arrivera jamais à la cheville d'un plat comorien.
Soprano : A Marseille, tous les dimanches, la famille se retrouve autour d'un repas.
Rohff : (il éclate de rire) C'est une réunion de famille durant laquelle on récite des passages du Coran. On discute de la famille et on rapelle les valeurs de notre pays. Mais surtout on est vraiment pressés que ca se termine pour pouvoir manger le riz bouillant comme le Karthala (volcan de l'ile de la Grande Comore), et les plats préparés par les mamans. (rires)
Soprano : Certains ont des techniques de fou pour ne pas se bruler (il mime avec ses mains). Nous les jeunes, nous arrivons toujours à la fin, le Kofia (chapeau traditionnel comorien) de travers, le boubou un peu rentré dans le pantalon. (rires)
Les traditions
Rohff : Chez nous, il y a le grand mariage. C'est un symbole de réussite dans le village. Sans ça, tu n'as pas vraiment le droit à la parole sur la plage du village. Le jour où une femme a fait le grand mariage, c'est une "reine"
Soprano : C'est un peu le sujet de discorde avec nos parents. Tant qu'on ne l'a pas fait, nous ne sommes rien pour eux! Encore maintenant c'est une source de pression. Certes pas aussi intense qu'auparavant. Ma mère me balance des petites phrases par çi, par là, notamment lorsque nous sommes à table. Tou d'un coup, au coeur d'une conversation elle va placer: "Tiens, il faudrait que tu te maries maintenant"
Rohff : c'est un vrai souci pour les mamans, elles n'en dorment pas. Elles s'en rendent malade.
Soprano : Peu importe qui fait le grand mariage, un proche comme une voisine, elles se sentent obligées de donner de l'argent. Plus jeune, je ne comprenais pas. Pour moi c'était du gaspillage. J'ai ensuite compris que les coutumes étaient la seule chose qui nous restait. C'est le seul moyen de transmettre des valeurs aux plus jeunes. Ca leur fait mal de savoir qu'on attache pas plus d'importance que ça au grand mariage. Ils sont choqués.
Les parents et le rap
Rohff : Le fait d'etre rappeur ne correspond pas vraiment à idéal pour nos. Pour eux, ca n'a pas de sens, c'est un loisi. Ils pensent encore que ca nous passera. Malgré tout, ils sont quand meme contents quand tu poses les billets sur la table. (rires)
Soprano : La mère de Vincenzo (des Psy4), par exemple, ne veut pas entendre parler du rap. Quand il part en concert, il lui dit simplement qu'il sort. Pour nos parents, le rap est une perte de temps. La première fois où ma mère a ressenti de la fierté à mon égard, elle était à Darty, le clip de "Le monde est ..." était diffusé sur toutes les télés du magasin. Les gens regardaient, chantaient et ma mère s'est écrié : "C'est mon fils!". Meme s'ils sont contents pour nous la seule véritablesource de fierté reste le mariage. Le fait est que ils ont aussi très peur de la vie. Pour exemple, lorsque nous avons reçu notre premier disque d'or avec Psy 4, ma mère est vennue me voir et m'a dit "Said, il faut que l'on te protège maintenant". Nous avons alors récité des passages du Coran
La religion
Soprano : Ecoule dans notre sang. Elle nous fait garder les pieds sur terre. La prière est une priorité.
Rohff : Aux Comores, comme ailleurs, personne n'est parfait. Le diable est partout, dans tous les pays. Tout le monde est tenté. Chacun ses erreurs, ses pechés. Mais on essaye toujours d'appliquer ce qu'on nous a inculqué. La religion nous apporte un véritable équilibre. Comme je dis dans mon album, quand tu es ignorant, tu tapes des toues arrières sur l'autoroute de l'enfer. Tu ne distingues pas le bien du mal. C'est là que tu te ramasses. Tu deviens quelqu'un d'autre . Quand tu restes près de la religion, tu gardes la notion du bien. Chez nous la religion est primordiale, c'est uen source de bien-être.
Source: Rap Mag & http://mc-alain2lombre.skyrock.com/